Noël. « Une fête commerciale ? Pas si simple…» (Le Télégramme, 24 décembre 2017)

Article d’Anne-Cécile juillet

Noël, une fête vidée de son sens, juste bonne à une débauche d’agapes et de cadeaux ? Pour l’historienne et anthropologue Nadine Cretin, la fête de Noël s’inscrit dans une multiplicité de traditions, riches et complexes, bien antérieures au christianisme.

Quelle place occupe Noël parmi toutes les fêtes ?

C’est une célébration tout à fait à part, à mon sens, et une fête très complexe à étudier. Ses racines sont profondes, bien antérieures à la naissance du Christ. La période de Noël, c’est, de toute éternité, celle du solstice d’hiver dans l’hémisphère Nord, de la nuit la plus longue de l’année, avant que les jours ne rallongent. C’est donc une fête qui, peut-être encore plus fortement que les autres, plonge l’homme face à ses « ténèbres », à sa finitude. Célébrer cette nuit interminable, c’est aussi en conjurer la noirceur. De toutes les fêtes, Noël est certainement celle qui répond le plus à l’angoisse de l’homme face à ses origines et à sa mort. Cela lui confère une dimension sacrée, que l’on soit croyant ou non.

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Joyeux foie gras !

L’Église a donc choisi cette date sciemment, en la joignant à d’autres traditions ? 

Bien sûr ! Au solstice, on fait brûler des bûches, on allume des lumières. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si l’évangéliste Jean parle de Jésus comme de la « lumière du monde » et qu’on célèbre sa naissance au moment où les jours rallongent. Mais ce n’est qu’à partir du quatrième siècle que le 25 décembre a été choisi pour fêter la Nativité, certainement pour contrer bon nombre de coutumes païennes qui étaient toujours célébrées par les premiers chrétiens. À Rome, on fêtait les Saturnales : il fallait conjurer la peur, dépasser l’obscurité, et apporter des présages positifs. La tradition des cadeaux de Noël existait déjà ! À l’époque, on s’échangeait des petits objets en terre cuite, et déjà, Ovide, né peu avant notre ère, se plaignait du fait que ces échanges devenaient trop mercantiles ! On n’a rien inventé…

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Un SOS au Père Noël

Le cadeau fait partie intégrante de cette fête ? 

Oui, parce que derrière il y a un ressort très simple : l’abondance promet l’abondance, la générosité promet la prospérité. C’est ce que l’ethnologue Martine Segalen appelle « le gaspillage cérémoniel » : le fait de dépenser beaucoup, est une sorte de porte-bonheur. Et ce ne sont pas forcément les foyers les plus aisés qui dépensent le plus. Bien sûr, la tradition chrétienne, les rois mages portant des présents au nouveau né dans la crèche y fait écho.

Pourtant, on dit que le Père Noël est une création de Coca-Cola… 

La firme américaine lui a simplement donné ses couleurs. Mais la figure du Père Noël, celui qui apporte les cadeaux et que l’on connaît sous sa forme actuelle depuis le XIX e siècle, rappelle, bien entendu, Saint Nicolas. On doit Santa Claus à Clement Moore, un pasteur américain qui en a écrit un poème, en 1822 : plus de père fouettard, plus de mitre épiscopale de Saint Nicolas, mais un bonnet mou, et des rennes pour lui faire parcourir le ciel. Et Saint Nicolas, lui-même, correspondait à la christianisation d’un personnage typique de l’hiver, que l’on retrouvait bien avant le Moyen Âge dans une partie de l’Europe. C’était un personnage généreux, au costume chatoyant, qui lançait depuis le ciel des oranges, des noix et des noisettes…

Noël, c’est surtout une fête pour les enfants ? 

Pas uniquement : elle convoque l’état d’enfance chez tout le monde. C’est pour cela qu’elle est une fête avant tout familiale. On dit souvent que les querelles éclatent à Noël, on dit moins que c’est aussi une période de trêve, de pardon, de réconciliation. Chez les Romains, pendant les Saturnales, on ne rendait pas la justice, on ne faisait pas la guerre, on ne se disputait pas. Noël, même dans nos sociétés occidentales très consuméristes, c’est aussi une période de solidarité où beaucoup de personnes s’impliquent auprès de ceux qui sont seuls. Noël touche le cœur des hommes.

 

 

Ce que nos fêtes de fin d’année doivent aux Celtes

De la lumière et de la verdure dans les foyers, en plein cœur de l’hiver : cette tradition (bougie, sapins, couronnes, bûche dans l’âtre) s’inspire aussi d’antiques traditions celtiques. Les Celtes avaient deux fêtes principales qui « axaient » leur année : Samain et Belteine. Samain marquait l’entrée dans les mois noirs, ces fameux « mizioù du » dont les anciens, en Bretagne, parlent encore. Samain célébrée début novembre, ouvrait une période qui courrait jusqu’au solstice d’hiver.

Des banquets, des rituels sacrés… et déjà, à l’époque, en 600 avant Jésus Christ, les enfants creusaient dans des légumes ou des végétaux pour y déposer du feu : ces lanternes végétales ne sont pas sans rappeler la fameuse citrouille d’Halloween, fête celte s’il en est. « Ils faisaient le tour des maisons pour présenter leurs vœux et il fallait leur donner quelque chose pour ne pas risquer de passer une mauvaise année », développe Nadine Cretin. En France, il y a un peu moins d’un siècle de cela, les petits passaient de maison en maison pour chanter « Au gui, l’an neuf », et gare à celui qui n’ouvrait pas sa porte. »

Cette expression est tout droit héritée des Celtes, et des druides dont on dit qu’ils coupaient le gui au solstice d’hiver, pour promettre des récoltes abondantes l’année suivante.

La bûche de Noël (devenue un dessert grâce à d’astucieux pâtissiers, en 1875) trouve aussi son écho dans la vieille Bretagne. « Anatole Le Braz a recueilli des témoignages, au début du XX e siècle, selon lesquels, la nuit de la Toussaint, on faisait brûler une bûche dans l’âtre, et que ce feu ne devait être ni consacré à la cuisine, ni au chauffage du foyer : c’était un feu d’intercession pour les défunts, explique Nadine Cretin. Cela rappelle exactement cette bûche de bois sacré, chez les Celtes, que les druides allumaient au feu sacré ».

Bref, lorsque, ce soir, vous dégusterez votre bûche aux marrons, devant un sapin, après avoir allumé des bougies ; lorsque, le soir de la Saint-Sylvestre, vous vous embrasserez sous le gui, vous pourrez vous dire héritiers de traditions ancrées sur le territoire breton depuis plusieurs millénaires.

 

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