Saint-Jean, 24 juin

Saint Jean-Baptiste, fêté le 24 juin, est distinct de saint Jean l’Evangéliste, l’apôtre aimé du Christ, fêté le 27 décembre. À la suite de Claude Gaignebet, nous notons que, dans le calendrier, les deux Jean sont aux deux solstices (d’été et d’hiver), aux deux « portes » de l’année, comme le veut le latin Janua (la porte).

Fils de Zacharie et d’Elisabeth, Jean-Baptiste est cousin du Christ. Avec le Christ et la Vierge, il est le seul saint dont on fête la Nativité : on fête un saint normalement à la date de sa mort, jour de sa « naissance au Ciel », son natalis. Jean-Baptiste est également fêté le 29 août, date de sa décollation.

Dernier des prophètes, qui fait le lien entre l’Ancien Testament et le Nouveau, il annonça le Messie ce qui lui valut le surnom de « Précurseur », et le désigna comme « Agneau de Dieu ». Il baptisa le Christ à l’âge adulte dans le Jourdain, alors qu’il vivait en ermite dans le désert de Judée : l’Evangile de saint Matthieu (3, 4) le décrit couvert d’un vêtement fait de poils de chameau avec un pagne de peau autour des reins, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage. Cela lui vaut le patronage des ermites et des bergers, et de rester ainsi proche des populations rurales, mais également celui des corroyeurs, ceinturiers et peaussiers, populations citadines. L’année suivant le Baptême, il fut emprisonné par Hérode (fils d’Hérode le Grand) pour avoir censuré le mariage de ce dernier avec sa nièce Hérodiade après avoir répudié son épouse, et il mourut décapité pour un caprice de Salomé, fille d’Hérodiade, qui demanda sa tête sur un plateau[1]. A cause de son emprisonnement et de sa décapitation, il est l’un des patrons des prisonniers et des condamnés à mort. Comme tout martyr décapité, c’est un saint guérisseur invoqué pour tous les genres de maux de tête, des migraines à l’épilepsie (appelée « le mal Saint-Jean »).

C’est également lui qui a prédit en parlant du Christ, Lumière du monde : « Il faut que lui grandisse et que moi, je diminue » (Jean, 3, 30), assertion que l’on ne manque pas de mettre en parallèle avec la course déclinante qu’entame le soleil à cette époque du solstice d’été.

Les feux de la Saint-Jean

La Saint-Jean donnait lieu à des traditions très aimées : celle des feux de joie.

En rapport avec la date, ces feux étaient l’une des manifestations calendaires qui permettaient à l’homme de se rassurer. Comme la fête de Noël est marquée par un feu domestique dans la cheminée au solstice d’hiver (au moment où les jours sont les plus courts), la nuit de la Saint-Jean est marquée généralement par des feux de joie, en plein air cette fois, méritant son surnom de « Noël d’été »[2].

Les Celtes connaissaient de grands feux dans la nuit de Belteine[3] (littéralement « feu de Bel[4] »), fête de la lumière qui célébrait le retour de la saison claire début mai, par opposition à Samain, qui célébrait le retour de la saison sombre début novembre (devenue Halloween). Lors de ces nuits spéciales, le monde divin se confondait avec celui des hommes : les esprits surnaturels, bons ou mauvais (sorcières et fées), étaient donc censés revenir sur terre, et les grands feux avaient pour but de purifier la nature environnante. On se rendait auprès de ces bûchers comme à de véritables sanctuaires. De la même façon, dans une grande partie de la France et même d’Europe, l’on dressait, pour le solstice d’été, les feux de la Saint-Jean le soir du 23 juin qui avaient également le but de purifier l’air, la végétation, les eaux (courantes ou non), le bétail, la population. La nature s’imprégnait de la fumée curative des bûchers. Jean Beleth, chanoine d’Amiens au XIIe siècle, puis à sa suite l’évêque de Mende Guillaume Durand au XIIIe siècle[5], ont souligné le but purificatoire de ces feux, dans lesquels on jetait des os d’animaux morts pour densifier la fumée, en particulier contre les dragons réputés infester l’air, les eaux et la terre pendant l’été.

Ces feux pouvaient aussi bien être dressés pour la Saint-Pierre le 29 juin, ou la Saint-Thibault (ou Thiébaut) le 1er juillet. Tous les habitants donnaient du bois, des vieux meubles, des sabots usés… aux jeunes gens qui dressaient le feu et qui passaient de maison en maison pour leur collecte.

Nous avons oublié aujourd’hui la fonction grave de ces feux, mais encore au début du XXe siècle, Anatole Le Braz soulignait que pour les Bretons l’Anaon, peuple des âmes en peine, était censé se réunir cette nuit-là : les femmes âgées disposaient des pierres dans les cendres fumantes pour leur permettre de venir s’asseoir et s’y réchauffer jusqu’au matin[6]. La coutume, aujourd’hui disparue, du chaudron sonore qu’on faisait « chanter » alors que le feu s’éteignait, était répandue dans l’Ouest de la France, en Bretagne, en Anjou, en Poitou et en Vendée. Ces « chants » plaintifs étaient destinés, croyait-on, à appeler les morts. Claude Lévi-Strauss rapproche ces chaudrons des « instruments des ténèbres », tout comme les crécelles que les enfants agitaient avant Pâques pour annoncer les offices à l’église et remplacer les cloches[7].

Ces feux avaient une importante fonction sociale. Les gens dansaient alentour, et présentaient le bétail qu’ils approchaient des flammes pour le fumer, ou qu’ils faisaient passer entre deux feux. Quand les flammes étaient moins hautes, les jeunes gens sautaient par-dessus : plus ils sautaient haut, plus les cultures seraient prometteuses. Se déclarant publiquement, les nouveaux amoureux, main dans la main, sautaient pour bénéficier de leur fonction fécondante. Ensuite, chacun emportait chez soi des tisons qu’on gardait précieusement pendant un an et qu’on jetait par petits morceaux dans la cheminée par temps d’orage ; le lendemain, certains venaient ramasser des cendres qu’ils jetaient dans les champs pour se ménager de bonnes récoltes.

Selon une coutume voisine, attestée encore au milieu du XXe siècle en Moselle, une roue enflammée dévalait un champ en pente pour finir dans la rivière en contre-bas. Cette coutume est déjà relatée par Grégoire de Tours au VIe siècle. Saint Vincent d’Agen, fêté le 9 juin, fut martyrisé au IIIe ou IVe siècle pour avoir voulu convertir des païens qui se rassemblaient pour assister à la descente d’une roue enflammée qui dévalait la pente de la colline jusqu’au ruisseau[8]. On donnait une double interprétation à cette roue : c’était avant tout un symbole solaire en mouvement, mais elle jouait aussi un rôle agraire en fécondant la terre.

L’emplacement des bûchers

On faisait plutôt les feux sur les hauteurs pour être vus de loin. Les jeunes filles du Dauphiné et de basse Bretagne devaient se rendre auprès de neuf feux d’affilée et faire une farandole autour de chaque bûcher pour trouver à se marier dans l’année[9].

La Saint-Jean occasionnait parfois de grandes foires, importantes à la campagne pour les « louées » : jusqu’au milieu du XXe siècle, on venait y embaucher des domestiques, des ouvriers agricoles et des moissonneurs. C’était par ailleurs une date butoir pour les baux ruraux, comme la Saint-Michel, la Toussaint et la Saint-Martin.

Les herbes de la Saint-Jean

A jeun, avant le lever du soleil ou à midi pile, on (surtout les femmes) cueillait les « herbes », neuf par neuf, en général de simples plantes faciles à trouver sur les bords des chemins. Les espèces variaient suivant les régions : armoise, millepertuis, verveine, marguerite, sauge, lierre terrestre, iris ou glaïeul des marais, camomille, fougère mâle, fleur de sureau… On faisait de ces « herbes » guérisseuses des décoctions ou des fumigations, en cas de maladie, pour le lavage des yeux et le teint.  On les gardait également toute l’année en bouquets (qui avaient été parfois présentés à neuf reprises au-dessus des flammes) ou en couronnes tressées que l’on posait au-dessus d’une armoire ou que l’on accrochait à une poutre de la maison ou d’une grange.

La tradition de la cueillette des herbes était déjà attestée au Xe siècle dans un sermon d’Atton, évêque de Verceil dans le Piémont, qui s’indignait contre la « vénération religieuse » accordée à cette croyance[10]. Celle-ci n’avait pas disparu pour autant, puisque Rutebeuf, trois siècles plus tard, la décrivait en Champagne dans le Dit de l’herberie en vantant essentiellement les vertus de l’armoise dont les femmes se faisaient des couronnes.Généralement, les jeunes filles mettaient neuf de ces herbes sous leur oreiller pour rêver à leur prince charmant.

La rosée elle-même était bénéfique : elle guérissait les maladies de peau ou purifiait le teint. On la recueillait dans des draps, on se roulait dans l’herbe fraîche, ou on y marchait pieds nus avant le lever du soleil.

L’eau des sources avait de nombreuses vertus si on la recueillait très tôt le matin[11]. A St-Jean-Pierre-Fixte, en Eure-et-Loir, l’eau puisée à la fontaine avant le lever du soleil était réputée ne jamais s’abîmer. Dans le Sud de la France et en Italie, on s’aspergeait, et on se baignait dans la mer ou les fontaines, malgré des prohibitions des clercs apparues très tôt, comme ce texte inspiré d’un sermon de Césaire d’Arles ( 542) : « Nul ne doit, lors de la Saint-Jean, pendant les heures nocturnes ou matinales, se laver dans les sources, les étangs, les fleuves ; cette coutume néfaste est un reste des usages païens »[12].

Que pensait l’Eglise de ces pratiques ?

L’Eglise a fini par s’accommoder de ces pratiques préchrétiennes qui généraient pourtant parfois des abus. Une réaction du même Césaire d’Arles (qui fut attribuée plus tard à saint Eloi, évêque de Noyon, au VIIe siècle) recommandait : « Que nul, à la fête de saint Jean ou à certaines solennités des saints, ne s’exerce à observer les solstices, les danses, les caroles et les chants diaboliques »[13]. Au XVIe siècle, la XXVe session du Concile de Trente (décembre 1563) interdisait de transformer les fêtes des saints en occasions de débauche et, par la suite, des Catéchismes ont tenté de christianiser la tradition. Ainsi, à la fin du XVIIe siècle, Bossuet, évêque de Meaux, travailla-t-il à christianiser la coutume en écrivant sous forme de questions et de réponses que ces feux étaient dressés pour perpétuer la joie de la naissance de Jean que l’ange avait prédite à son père Zacharie[14].

Demande : L’Église prend-elle part à ces feux ?

Réponse : Oui, puisque dans plusieurs diocèses, en particulier dans celui-ci, plusieurs paroisses font un feu qu’on appelle ecclésiastique.

D. Quelle raison a-t-on de faire ce feu d’une manière ecclésiastique ?

R. Pour en bannir les superstitions qu’on pratique au feu de la Saint-Jean.

D. Quelles sont ces superstitions ?

R. Danser à l’entour du feu, jouer, faire des festins, chanter des chansons déshonnêtes, jeter des herbes par-dessus le feu, en cueillir avant midi ou à jeun, en porter sur soi, les conserver le long de l’année, garder des tisons ou des charbons du feu, et autres semblables[15].

A cette même époque, Furetière explique dans son dictionnaire (1692) que le feu de la Saint-Jean est fait « en réjouissance de sa nativité ». Ce feu avait même fini par revêtir un caractère tellement sacré que les réjouissances de la Saint-Jean furent supprimées pendant la Révolution. Aujourd’hui, l’Eglise ne donne plus cet argument, évidemment : elle sait que l’origine de ces feux est liée au solstice, mais quand la coutume survit, les bûchers sont souvent encore bénis par un prêtre.


[1] Evangiles de Matthieu (14, 1-12) et Marc (6, 14-29)

[2] On retrouve lors de ces deux nuits des traditions semblables : à minuit pile, les eaux des fontaines se changent en vin, les pierres se soulèvent laissant apercevoir des trésors…

[3] Le calendrier celtique étant luni-solaire, ce n’était pas une fête fixe. Par ailleurs, les Celtes comptaient par nuits.

[4] De Bélénos, l’un des surnoms de Lug.

[5] Summa de ecclesiasticis officiis, 137. Rationale divinorum officiorum

[6] Anatole Le Braz, Magies de la Bretagne, « La légende de la mort chez les bretons armoricains » (1922), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 4e éd. 1994, pp. 315, 316.

[7] Mythologiques. Du miel aux cendres, Plon, 1966, p . 349-363.

[8] Cité par Bernard Robreau, La mémoire chrétienne du paganisme carnute, Ed SAEL, (1997), p. 242.

[9] Paul Sébillot, Breton originaire de Moncontour dans les Côtes d’Armor, notait, lui, que les jeunes filles devaient en fréquenter sept et ajoutait que les communes en dressaient volontiers deux ou trois : un dans la principale agglomération et les autres sur des hauteurs avoisinantes P. Sébillot, Revue des traditions populaires, n° 7, juillet 1910, p. 277.

[10] Cité par B. Robreau, La mémoire chrétienne du paganisme carnute, SAEL, p. 239.

[11] Voir Alban Bensa, Les saints guérisseurs du Perche-Gouët, Musée de l’Homme, 1978, p. 176.

[12] G. Huet, « Coutumes superstitieuses de la St-Jean au haut MA», Revue des traditions populaires, 25, 1910, pp. 463-465. Dans le Sud de la Bretagne et en Corse, le prêtre bénissait la mer et, à partir de ce jour, on avait le droit de se baigner.

[13] Ce texte fut inséré à la Vita d’Eloi au VIIIe siècle. J.-C. Schmitt, « Du paganisme aux superstitions », Histoire de la France religieuse, J. Le Goff et R. Rémond, vol. 1, 1988, p. 450.

[14] Luc, 1, 14. : « Tu auras joie et allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance ».

[15] Catéchisme de Meaux, p. 267, cité par A. Van Gennep, Le folklore français, éd. 1999, p. 1493.