Venez, venez saint Nicolas… (Zenit.org : Le monde vu de Rome, 6 décembre 2019 )

« Venez, venez, saint Nicolas, venez, venez! »: le Père Noël … c’est lui!

Autrement dit, le Père Noël existe bel et bien!

décembre 06, 2019 15:43

Anita Bourdin

« Ah! cette hérésie du Père Noël importée par les Français ! » : ce cri du cœur d’un ami belge, scan-da-li-sé, trouve son explication – et sa réconciliation! – chez l’historienne Nadine Cretin qui analyse les représentations du Père Noël et de saint Nicolas, l’évêque de Myre, ville marchande d’Asie Mineure (Turquie) aux IIIe-IVe siècles. Et qui est toujours aujourd’hui plus que jamais, ce 6 décembre 2019, jour de sa fête, l’ami des… enfants !
« Une barbe blanche, un habit rouge, des cadeaux pleins les bras, et un sourire chaleureux. (…) D’où vient cette ressemblance ? » Nadine Cretin poursuit son investigation. Ce qui les rapproche – serait-ce un « indice pensable »? – , c’est « la même générosité » : « Nos deux donateurs de cadeaux reposent en réalité sur des croyances anciennes, qui les rapprochent des masqués de l’hiver, saison noire et stérile avant le retour du printemps. De telles créatures figurent encore dans les mascarades du Nouvel An ou les carnavals. Les beaux, bien habillés, distribuent noix ou gâteaux, symbolisant les beaux jours, la lumière et l’abondance. »
Leurs compagnons aussi se ressemblent fait observer la chercheuse: « Ils sont affublés de compagnons à l’aspect bestial, vêtus de paille, de mousse, de fourrures. Ces « laids » symbolisent un monde inquiétant, un monde non civilisé, inconnu, que l’on peut rapprocher de l’Au-delà », comme le « Père Fouettard » alias Hans Trapp en Alsace, Zwarte Piet aux Pays-Bas et en Belgique, Schmutzli en Suisse…
Avant d’être le saint patron des petits enfants, l’évêque de Myre a été honoré comme le saint patron des marins, des marchands, des prisonniers, des avocats, des fiancés, du fait de sa généreuse intervention en leur faveur rappelle encore l’historienne : « Les légendes de saint Nicolas en faisaient le patron des marins car il en avait sauvé de la tempête, celui des marchands car il avait préservé sa ville de la famine, mais aussi des prisonniers et des avocats car il avait délivré des captifs, et celui des fiancés car il avait aidé des jeunes filles pauvres à se marier. »
Et puis ce fut la « légende des trois enfants » ressuscités du saloir d’un méchant boucher, « la plus connue en Occident ».
Ensuite, elle pourfend l’idée de toute « hérésie » française car les reliques de saint Nicolas reposent à Bari, sur la côte adriatique – auprès duquel le pape François a organisé une journée de prière pour la paix au Moyen-Orient, en juillet 2018 – et de là sa réputation est passée en Lorraine : « En 1087, des marins italiens de Bari ont rapporté dans leur ville les restes de saint Nicolas, craignant l’action des Infidèles en Asie Mineure. De là, un chevalier lorrain a rapporté une relique qu’il a mise à Saint-Nicolas-de-Port, devenu un grand centre de pèlerinage près de Nancy. »
Autrement dit, les Français n’ont pas exporté « l’hérésie » du Père Noël, mais, en passant par la Lorraine, ils ont importé – puis exporté ! – la mémoire des bienfaits d’un bon évêque! Ouf! Acquittés.
Et le voilà qui franchit l’Atlantique nord, explique Nadine Cretin, toujours sur ses traces: « C’est ce saint Nicolas transformé que les premiers colons américains ont importé avec eux en Amérique du Nord au XVIIe siècle. Là, il a peu à peu donné ses traits au Père Noël. Dans un poème (1822), Clement Clark Moore fait de saint Nick un minuscule personnage, rond et jovial à l’habit « couleur de suie » venant en traîneau tiré par des rennes, et descendant dans les cheminées déposer des cadeaux. Plus de Père Fouettard à ses côtés ! Vers 1860, Thomas Nast a dessiné Santa Claus, le faisant venir du Pôle Nord. Ses habits étaient souvent rouges. Vers 1930, une campagne de publicité de Coca-Cola a fixé son image à travers le monde. »
Après une enquête si rondement menée, on peut donc conclure que, sous ce nom et sous cet aspect, c’est saint Nicolas qui accompagne les fêtes de Noël chaque année dans le monde entier! Certes, incognito pour beaucoup, sauf pour ceux qui se rappellent de son nom et de sa sainteté – « Santa Claus » ! -, et pour tous les petits enfants qui le fêtent aujourd’hui avec joie en chantant « Venez, venez, saint Nicolas, venez, venez ! ».
Autrement dit, c’est bien vrai, le Père Noël existe, c’est lui, saint Nicolas, mais incognito! Chut! Il a juste renoncé à son nom, à sa mitre et à sa crosse d’évêque.
Mais « pourquoi? » demande un jeune « fan » de saint Nick? « Eh bien, répond un vieux sage, qui lui ressemble, c’est certainement parce que saint Nicolas voulait pouvoir se faire proche de tous les enfants du monde, pas seulement les petits baptisés. Mais pouvoir entrer dans toutes les maisons comme un ami, pour pouvoir dire à tous, à Noël, que Dieu les aime tendrement ».
Petits enfants, vous savez maintenant quoi répondre au grand frère ou à la grande soeur qui prétendrait que le Père Noël n’existe pas! Vous pouvez aussi ne rien dire, et garder votre secret, en les confiant à la prière du grand saint Nicolas.

décembre 06, 2019 15:43

ANITA BOURDIN

Journaliste accréditée au Vatican depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org . A créé Zenit en français en janvier 1999. Correspondante à Rome de Radio Espérance. Formation: journalisme (Bruxelles), théologie biblique (Rome), lettres classiques (Paris).

« Nous avons besoin de Noël » (L’Union, 22 décembre 2019)

Article de Samuel Ribot

« Nous avons besoin de Noël »

Cette historienne et anthropologue se passionne depuis toujours pour la fête de Noël. Du choix du 25 décembre à la tradition de la bûche en passant par les Saturnales romaines, elle nous fait découvrir Noël à travers plus de 2000 ans d’histoire. « Nous avons besoin de la fête de Noël, parce qu’elle intervient en plein hiver, qu’elle marque le réconfort et qu’elle favorise la réunion de la famille. »

  • Pourquoi fête-t-on Noël le 25 décembre ?

  • Toutes les religions fêtent-elles Noël ?

  • Pourquoi et depuis quand Noël rime-t-il avec abondance ? A quoi correspondent les cadeaux ?

  • Sait-on d’où viennent les marqueurs de Noël : repas de réveillon, sapin ?

  • La bûche a elle aussi une histoire particulière.

  • La construction de cette fête est un exemple unique.

« Qu’est-ce que le cadeau dans notre société ?  » (RFI, 2 janvier 2020)

Avec Emmanuelle Bastide : « 7 milliards de voisins ».

http://www.rfi.fr/emission/20200102-cadeau-societe

En cette fin d’année, des milliards de personnes se sont échangé des cadeaux. Pourquoi et comment ces dons continuent-ils de créer du lien entre les gens ? Que représentent-ils pour ceux qui les reçoivent…et pour ceux qui les offrent ?

Avec :

  • Nadine Cretin, docteure en histoire, spécialiste d’anthropologie religieuse. Historienne des fêtes

– Jean-François Chanlat, professeur émérite en sciences des organisations à l’Université Paris-Dauphine, spécialiste de l’anthropologie des organisations et du management interculturel

Le Père Noël a-t-il été créé par Coca-Cola? (Les idées claires, France-Culture, 24 décembre 2019)

Avec Nicolas Martin
Vidéo de Yann Lagarde

La magie de Noël, L’Actualité chimique, décembre 2018

Exceptionnellement, nous avons cédé la plume à Nadine Cretin pour vous enchanter
avec la magie de Noël. La chimie n’est pas directement évoquée, et pourtant,
nous sommes certains que vous allez y penser en dégustant les mets, friandises et
gâteaux associés à ses traditions. Que cela ne gâche en rien votre plaisir car vous
allez sûrement apprendre quelque chose en lisant cet éditorial. Docteur en histoire,
spécialiste des relations entre le territoire et ses usages festifs, rituels et spirituels,
Nadine Cretin étudie le calendrier, les origines et les manifestations des fêtes
occidentales, qu’elles soient profanes ou sacrées.

Magie de Noël : l’abondance promet l’abondance !

Dès le début du mois de décembre, alors que l’obscurité et le froid s’imposent dans l’hémisphère nord, les maisons changent. Comme les jardins et les rues, elles s’illuminent, tandis que la verdure entre dans nos salons et habille nos portes. Décorés, les quartiers commerçants, s’animent et l’Armée du Salut chante avec entrain les noëls que nous connaissons depuis l’enfance. Les marchés de Noël, installés pour un mois sur les places des villes, exhalent une merveilleuse odeur d’épices et de vin chaud. Quant aux cuisines, leurs parfums sont engageants, et les petits gâteaux sont accrochés dans le sapin au grand plaisir des enfants. Indépendamment de la célébration de la naissance de l’Enfant-Jésus, toujours très respectée par les chrétiens, Noël et les jours qui suivent jusqu’à l’Epiphanie le 6 janvier, (les Douze Jours disait-on), marquent l’époque du solstice d’hiver et la reprise d’une nouvelle année que l’on veut prometteuse.

Des rites porte-bonheur

Comme de nombreuses pâtisseries de l’époque dont le nom est dérivé de cuneolus, petite pointe en latin, tels les quigneux (Franche-Comté) ou les cugnots (Picardie), les biscuits de Noël, petits gâteaux épicés sont porte-bonheur. Leur forme contient souvent un ou plusieurs bouts pointus (losanges, étoiles, croissants de lune, cœurs, sabots…), car la pointe était réputée annuler les sorcelleries. C’est d’ailleurs ce qui a fait la fortune du houx. Les pointes de ce végétal, si beau l’hiver avec ses baies rouges, étaient censées éloigner les mauvais esprits. Les gâteaux ont également la forme de bonshommes, comme les mannele ou mannala alsaciens de la Saint-Nicolas (6 décembre) et, selon certains, ce « cannibalisme » traduirait les angoisses profondes liées aux nuits interminables.

Les enfants des tournées passaient chanter leurs vœux de porte en porte à partir de la Saint-Thomas, le 21 décembre autrefois. « Au gui l’an neuf ! » promettaient les petits quêteurs encore au début du XXe siècle. On pratique toujours ces tournées dans certains pays, comme en Angleterre avec les Christmas Carols. Pour remercier, on donnait aux enfants des friandises – des biscuits, des pommes, des noix, des bonbons – ou de la monnaie. C’était en réalité plus qu’un merci. Il était important de leur donner quelque chose pour se mettre en échange leurs vœux de son côté. Si l’on ne donnait rien ou si l’on n’ouvrait pas la porte, les enfants proféraient des malédictions, ce qui prouve la valeur magique de ces tournées. Répandues en Europe depuis un temps immémorial, ces quêtes ont lieu en époque de passage, d’Halloween, veille de la Toussaint, jusqu’au 1er mai.

Ce geste de générosité aux portes des maisons explique l’un des sens du cadeau de Noël : on est inconsciemment heureux de donner aux autres, et pas seulement aux enfants. On ouvre son cœur, comme on ouvre son porte-monnaie, et Noël est vraiment une fête de la générosité comme l’avaient déjà souligné au milieu du XIXe siècle Charles Dickens, avec son Conte de Noël (1943) dans l’Angleterre industrialisée, ou le conteur danois Hans Christian Andersen avec La Petite Fille aux allumettes (1845). Ainsi, les opérations charitables à l’égard des pauvres ou des malades se multiplient à cette époque tels le Téléthon, les repas offerts aux SDF ou les Ventes de Charité, de la même façon que les cartes de vœux se vendent au profit d’organisations humanitaires comme l’UNICEF.

Des mets à profusion pour de grandes tablées

A Noël, on mange beaucoup, ce qui est une façon de se rassurer, car ces repas sont porte-bonheur : l’abondance promet l’abondance. Qu’ils aient lieu à Noël ou à une date voisine, ces festins, gros soupers ou réveillons de l’époque concernent les familles, alors que la Saint-Sylvestre se fête plutôt entre amis. Ils rassemblent souvent les éloignés et la chaleur de l’affection réchauffe au plus profond de l’hiver. Encore dans la première moitié du XXe siècle, l’évocation des chers disparus était la règle lorsqu’on mettait à brûler le soir du 24 décembre une énorme bûche en bois dans la cheminée – en Bretagne, on s’agenouillait un instant devant –, ou encore lorsqu’on plaçait cérémonieusement des chandelles sur la table à leur intention. Dans la nuit, on laissait quelques mets sur la table pour les ancêtres. L’Au-delà était très présent à Noël et cette fête peut être douloureuse encore aujourd’hui pour ceux qui ont perdu des proches dans l’année, pour les personnes isolées ou malades.

La coutume des grands repas de l’époque concerne toute l’Europe, plongée dans le dénuement de l’hiver, ce qui prouve qu’elle est ancienne. Déjà, les Romains au IVe siècle connaissaient à la veille des Calendes de janvier la tabula fortunata, c’est à dire « la table qui portait chance », où l’on servait à profusion mets et boissons à la veille de la nouvelle année. En Alsace, encore au courant du XXe siècle, il fallait à la table de Noël un élément de l’eau, un élément de l’air, un élément de la terre. Notre menu-type qui s’est imposé en France dans la seconde moitié du XXe siècle respecte ces données avec les huîtres, le saumon fumé, le foie gras et les volailles (qui ont des ailes). Auparavant, les menus variaient selon les régions, et le porc, tué pour l’occasion, était fréquent. Différents des biscuits cités, les desserts de Noël, fourrés de fruits secs, d’épices, de pâte d’amandes, comme le pudding anglais ou le Stollen allemand, traduisaient à eux seuls la profusion. Inspirée de la vraie qui brûlait dans la cheminée, la bûche-dessert ne date que de la fin du XIXe siècle, mais plus représentatifs sont les Treize Desserts provençaux. Ils comprennent des fruits secs (raisins, pruneaux, abricots, figues…) – les « mendiants », car leur couleur rappelle celle de la bure des moines des ordres mendiants (franciscains, dominicains), – des fruits frais, des nougats blancs et noirs, des fruits confits parfois, et une fougasse, pompe à l’huile ou gibassié. Le nombre précis de ces desserts n’est pas très ancien et ne date que des années 1920. Mais c’est devenu la tradition et elle est immuable !

Nadine Cretin

Références
– Armengaud C., Le diable sucré. Gâteaux, cannibalisme, mort et fécondité, Éditions de La Martinière, 2000.
– Bertrand R., Boyer J.-P., Dorival G., La Nativité et le temps de Noël. Antiquité et Moyen-Âge, vol. 1, et XVIIe-XXe siècle, vol. 2, Colloque international, 7-9 déc. 2000,
Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, PUP, 2003.
– Bertrand R., Fournier L.-S. (dir.), Les Fêtes en Provence autrefois et aujourd’hui, Presses Universitaires de Provence, 2014.
– Brégeon-Poli B., Va pour treize ! : la « tradition » des desserts de Noël en Provence, Terrain, 1995, 24, p. 145.
– Cabantous A., Walter F., Noël, une si longue histoire…, Payot, 2016.
– Charabot A., La pâtisserie à travers les âges. Résumé historique de la communauté des pâtissiers, Auguste Réty, Meulan, 1904.
– Cretin N., Noëls des provinces de France, Le Pérégrinateur, Toulouse, 2013.
– Flandrin J.-L., Montanari M., Histoire de l’Alimentation, Fayard, 1996.
– Lalouette J., Jours de fête. Jours fériés et fêtes légales dans la France contemporaine, Éditions Tallandier, 2010.
– Leser G., Noël-Wihnachte en Alsace : rites, coutumes, croyances, Éditions du Rhin, Mulhouse, 1989.
– Perrot M., Ethnologie de Noël. Une Fête paradoxale, Grasset et Fasquelle, 2000.
– Provost G., La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Le Cerf, Paris, 1998.
– Van Gennep A., Le folklore français, tome I, vol. 7, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (1958) 1998-1999.
– Van Gennep A., Guichard B., Le folklore français, tome I, vol. 8, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (1988) 1998-1999.
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