Saint Valentin, patron des amoureux
La Saint-Valentin, le 14 février, est une date bien connue des amoureux, bien que le saint de ce nom soit très obscur. Près de la tombe d’un martyr inhumé au deuxième mille de la Via Flaminia, entourée de bonne heure par d’autres tombes, fut construite une église dédiée à saint Valentin : cette basilique, attribuée au pape Jules I (337-352) et restaurée sous le pape Honorius I (625-638), fut le lieu d’un pèlerinage très fréquenté. D’après le récit tardif et légendaire du martyre de Marius, Marthe et leurs compagnons, groupe originaire de Perse dont le culte s’étendit à Rome au VIe siècle en raison de la translation de leurs reliques, saint Valentin aurait été un prêtre romain, martyr au IIIe siècle. A la fin du XIIIe siècle, le corps de saint Valentin fut transféré, comme beaucoup d’autres, dans la chapelle Saint-Zénon de l’église Sainte-Praxède, près de Sainte-Marie-Majeure[1]. Rien ne le prédisposait au patronage des amoureux.
Ce Valentin fut confondu avec un autre du même nom, « évêque » de Terni selon une tradition qui ne remonte pas au-delà du VIe siècle, martyrisé à Rome vers 273 et fêté également le 14 février. Terni est situé aussi sur la voie Flaminienne au 63e mille. Là encore, sur l’emplacement estimé de la tombe du martyr, on construisit à une époque reculée une basilique attestée au VIIIe siècle.
A la suite d’un récit tardif (mais antérieur au VIIIe siècle), ce second Valentin était réputé guérisseur et aurait exercé son art auprès des filles (du fils, selon les versions) d’un certain Craton – citoyen romain ou philosophe grec –, avant d’être arrêté puis décapité sur la voie Flaminienne. Dans La Légende dorée de Jacques de Voragine (seconde moitié du XIIIe siècle), le prêtre Valentin aurait accompli un semblable miracle de guérison de la fille aveugle d’un gouverneur. Mais dans tout cela, il n’est pas question de fiancés.
S’il figurait dans les précédents Martyrologes, Valentin de Terni n’a pas été retenu dans le Martyrologe de 2001. Il reste que nous pouvons nous étonner de la présence de deux martyrs du même nom, célébrés le même jour, martyrisés tous les deux au IIIe siècle. Valentin ne serait-il pas le nom d’un unique personnage dont le culte importé tôt à Terni serait devenu tout simplement celui d’un saint local ? L’évêque de Terni aurait-il été au contraire le seul saint Valentin, tandis que la basilique du deuxième mille aurait porté le titre de son donateur, un dénommé Valentin sanctifié par erreur ? Qu’en serait-il alors du tombeau du martyr trouvé là ? Depuis, d’autres Valentin se sont ajoutés à la confusion !
L’étymologie prometteuse du nom de Valentin (du latin valere, être fort, bien se porter, réussir) semble être à l’origine du patronage des amoureux, car, pour cette raison, la Saint-Valentin était marquée par de nombreux présages de bonheur, surtout d’obtention d’un fiancé ou d’un mari[2]. Mêlé à une croyance médiévale relative à l’appariement des oiseaux ce jour-là, la popularité de ce saint grandit. Propre aux Iles britanniques, la légende selon laquelle les oiseaux s’apparient à la Saint-Valentin, diffère quelque peu de la croyance française selon laquelle ils se fiancent le jour de sa fête et se marient un peu plus tard, à la Saint-Joseph (le 19 mars) : c’est l’explication la plus fréquente de cette réputation de la Saint-Valentin[3]. Avec l’avènement de la courtoisie, le poète de cour anglais Geoffrey Chaucer parle de la Saint-Valentin et de l’avènement du printemps où les oiseaux se choisissent une compagne dans The Parliament of Fowles (Le Parlement des oiseaux, vers 1382). Selon les exemples donnés au XIVe siècle par le poète ainsi que par son contemporain et ami John Gower, lui aussi lié à la noblesse de son époque, des manifestations courtoises avaient lieu le 14 février dans le milieu aristocratique anglais. Le valentinage, « sorte de mise à l’épreuve amoureuse »[4], consistait à associer pour l’année – ou seulement pour la journée – des couples formés selon leur libre consentement ou selon le hasard (première rencontre du matin, tirage au sort…), y compris chez les personnes mariées. Le Valentin et sa Valentine, dont l’association restait secrète, se faisaient galanteries et menus cadeaux.
Toujours au XIVe siècle, la coutume du valentinage fut connue à la cour de Savoie par le capitaine des armées anglaises Othon de Grandson († 1397), chevalier-poète, puis par Pardo, chevalier espagnol de Valence, et enfin à la cour de France au siècle suivant, grâce aux rondeaux et ballades de Charles d’Orléans qui avait été prisonnier à Londres de 1415 à 1440. La poétesse française Christine de Pisan, Italienne élevée à la cour de Charles V à partir de 1368 où son père, médecin et astrologue, exerçait, avait déjà écrit des valentines, poèmes galants, vers 1400. À la fin du Dit de la Rose, en 1401, elle précise aux vers 637-640 : Escript le jour saint Valentin, / Ou mains amans tres le matin / Choisissent amours pour l’année,/ C’est le droit de celle journée.
La tradition aristocratique se répandit en Lorraine au XVIe siècle, s’amalgamant à la coutume carnavalesque connue par ailleurs de la « parodie populaire des bans » : les dônes ou saudées connues jusqu’à la fin du XIXe siècle[6]. A une date voisine du Carnaval, le premier dimanche du Carême par exemple, le dônage était une coutume villageoise peu discrète (à l’inverse de la Saint-Valentin), qui consistait à associer publiquement une « maîtresse » et un « galant » parmi la jeunesse du village. Dans la rue, sur une place où devant une maison où se tenait une veillée, un orateur annonçait à la cantonnade des fiançailles fantaisistes entre célibataires du village : « Je donne mademoiselle X à monsieur Y ». Cette parodie n’avait heureusement aucune valeur contraignante et les jeunes gens pouvaient simplement refuser les alliances annoncées contre un petit cadeau. Comme le dônage, la Saint-Valentin est à une date proche du Carnaval, époque de licence et de rupture favorable au retour de la fécondité, où les jeux amoureux étaient très présents.
La Saint-Valentin, connue en France, en Angleterre et en Ecosse, s’étendait à l’instar de la Lorraine, et ne régnait pas seulement dans les cours aristocratiques. Son « coupable usage » fut dénoncé par les gens d’Eglise, en particulier en 1603, par le jeune évêque de Genève François de Sales, à Annecy, son lieu de résidence, « dans un sermon plein de force et de zèle »[7]. En effet, cet « abus des plus graves… fort nuisible aux bonnes mœurs » occasionnait querelles et désordres, car il pouvait s’adresser également à des personnes mariées. Les jeunes gens et jeunes filles écrivaient leurs noms sur des billets séparés disposés dans une urne. Après tirage au sort, le hasard rapprochait ainsi un Valentin d’une Valentine en formant des couples qui contractaient pour l’année « d’étroits rapports d’amitié ». Le Valentin devait porter tout ce temps sur son cœur ou sur son bras le billet de sa Valentine et se faisait « une profession particulière de la servir, de la mener aux promenades, aux assemblées, aux bals, sans oublier de lui faire divers présents ». Au tirage au sort, François de Sales eut l’idée de remplacer le nom de l’amoureux par celui d’un saint : « il fit donc distribuer dans toutes les familles des billets contenant les noms des saints ou des saintes qu’on devait prendre pour protecteurs pendant l’année »[8]. Mais cette proposition fut accueillie par de violentes réactions de ses ouailles, ce qui laisse penser que l’usage était établi depuis longtemps.
Avant même l’envoi des cartes de Noël, l’Angleterre connaissait, dès le XVIIIe siècle, celui de cartes de voeux, les valentines, messages amoureux parfois anonymes. La carte portait l’inscription « To my Valentine ». S’étant développée à son tour en Amérique du Nord, la coutume du Valentine’s day revint en Europe, en particulier à la suite de la IIe Guerre mondiale grâce aux soldats américains. Aujourd’hui encore, les Américains adressent des valentines, cartes représentant des couples, des cœurs, des cupidons…, aux couples amis ou aux jeunes gens en âge de se marier.
La coutume actuelle est de célébrer cette fête en tête-à-tête ou, tout au moins, de se faire des cadeaux entre amoureux. Comme on sait, le commerce s’en est largement emparé depuis la seconde moitié du XXe siècle : bijoux, fleurs (des roses rouges essentiellement), chocolats… sont les cadeaux les plus fréquents. Les restaurants proposent des dîners aux chandelles et des menus particuliers où les plats prennent volontiers la forme de cœurs.
Nadine Cretin
Extrait de Fêtes de la table et traditions alimentaires, Le Pérégrinateur, 2015.
[1] P. Jean Evenou, « Saint Valentin et les reliques de Saint-Pierre-du-Chemin (Vendée) », conférence donnée en ce lieu le 5 octobre 1992.
[2] A. Van Gennep, Le folklore français, vol. 1, « Bouquins », Robert Laffont, 1994, p. 264.
[3] Contrairement à ce que certains prétendent, il n’y a pas de lien avec les Lupercales, fête célébrée dans la Rome antique le 15 février, si ce n’est la date carnavalesque, entre hiver et printemps.
[4] Tina Jolas, « Une séquence printanière : Le Songe d’une nuit d’été », Ethnologie française, 1991/4, p. 383.
[6] A. Van Gennep, Le folklore français, vol. 1, p. 263.
[7] Louis-Joseph de Baudry (et al.), Œuvres complètes de saint François de Sales, Ed. J.P. Migne, 1861, Livre V, col. 546.
[8] id. col. 547.