Extrait en partie de Nadine Cretin, Fête des Fous, Saint-Jean et Belles de mai, une histoire du calendrier, Seuil, 2008, p. 36, 37.
Le 1er-Avril
Le 1er-Avril, (April’s Fool’s day, fête du Fou d’Avril, dit-on en Grande-Bretagne) est une journée qui dérive des fêtes d’inversion propres au Carnaval, une parodie des fêtes de début d’année. En Espagne, la journée des farces a lieu le 28 décembre, jour des Saints-Innocents, ce qui confirme la fonction carnavalesque de cette journée où les petits deviennent grands, où ceux qui font des farces sont pris au sérieux. La dérision domine le 1er-Avril, douze jours après l’équinoxe de printemps, en cette journée liée à l’avènement de la nouvelle saison qui soulage de l’hiver, et qui tombe en général pendant l’austère période du Carême. L’année débutait à ce moment-là, à quelques jours près : selon le style de l’Annonciation le 25 mars du Xe siècle jusqu’au début du XIIe siècle, et par endroits jusqu’au XIIIe siècle, et à Pâques jusqu’en 1564[1]. Le 1er-Avril illustre bien le rire libérateur qui accompagne le renouveau, soulagement qui motivait ce rire, le risus paschalis, autorisé à l’église le jour de Pâques ou de la Pentecôte jusqu’au XVIe siècle, à mettre en parallèle avec le silence rompu des cloches (1). Dans Les Métamorphoses ou l’Âne d’or d’Apulée (2e siècle), le héros Lucius transformé en âne est objet de plaisanteries faites pour la journée du Rire, fête du dieu Risus. Ce roman latin se déroule en Thessalie, pays de la magie. Mais Risus ne peut être vraiment assimilé à aucune divinité grecque ou romaine.
Les plaisanteries, que l’on associe souvent à d’anciennes étrennes, sont ponctuées en France de l’expression énigmatique : « Poisson d’Avril ! ». Ces farces sont faites aux personnes de tout âge et de toute condition sociale, tandis que les plaisantins accrochent parfois dans leur dos la silhouette d’un poisson en papier. Claude Gaignebet voyait dans cet accrochage la nécessité d’un « retournement » du temps impliqué par le geste même [2]. Différentes hypothèses peuvent justifier ce poisson. Il semble par sa présence se moquer des autorités, de l’Eglise en particulier, qui était symbolisée pour les premiers chrétiens par un poisson, ICHTUS en grec, acronyme de « Jésus Christ, Fils du Dieu, notre Sauveur ». Par ailleurs, au moment du 1er avril, l’Eglise impose le Carême, cette période de « quarante » jours avant Pâques, où il faut faire « maigre » : le poisson est l’un des rares aliments autrefois autorisés en période de jeûne. (Rappelons que Pâques, fête mobile, peut tomber entre le 22 mars et le 25 avril.) Par le nombre de ses œufs, le poisson évoque la vie et la fécondité, comme la poule ou le lièvre, autres animaux prolifiques célèbres au printemps. Une origine sémantique peut encore être avancée, qui donne au poisson une connotation érotique : le « maquereau », la « maquerelle », la « morue » sont des noms évocateurs d’amours illicites et de débordements sexuels (3). De même, la « vieille », autre nom du labre, poisson marin ridé, est le nom donné en France à l’année finissante ainsi qu’au Carême. La pêche en eaux douces elle-même est parfois encore interdite par des décrets préfectoraux pendant cette période afin de respecter le frai, la reproduction des poissons.
Les farces du 1er-Avril, qu’Arnold Van Gennep, grand folkloriste français († 1957), rapprochait des « farces de réception », étaient connues au moment du Carnaval, lors des veillées et des fêtes patronales ou professionnelles (4). Répandues d’abord en milieu urbain, ces farces jouées aux nouveaux, sans aspects licencieux particuliers, représentaient une épreuve d’admission, forme de bizutage pour les jeunes apprentis qu’on envoyait chercher des objets introuvables : des passoires sans trous, de l’huile de coude ou des cordes à lier le vent, par exemple.
[1] Depuis 1564, grâce à l’Edit de Roussillon signé par Charles IX, notre année civile débute le 1er janvier. Colette Méchin, Saint Nicolas, Berger-Levrault, 1978, p. 109 ; Arnold Van Gennep, Le Folklore français, T. 1, vol. 3, Paris, Robert Laffont, (réed) 1998, p. 11.
[2] Fêtes du monde. Europe, Ed. du Moniteur, 1980, p. 11.
(3) Catherine Garanger-Lepagnol, « Poisson d’avril ! », Carnavals et mascarades, Pier Giovanni d’Ayala et Martine Boiteux dir., Bordas, 1988, p. 78.
(4) Le folklore français, I, vol. 3, rééd. Robert Laffont « Bouquins », 1998, pp. 931, 932.