Le 1er avril

Avec internet, on se contente généralement des réponses de Wikipédia pour expliquer cette fête. C’est dommage. Beaucoup se contentent de faire remonter la coutume au XVIe siècle, parce que le Nouvel An en France a été placé officiellement en 1564 par Charles IX à la date du 1er janvier (édit dit de Roussillon). On rapproche les farces de fausses étrennes, ce qui n’est pas faux. Mais c’est certainement plus ancien !

On prétend que le Nouvel An était auparavant le 1er avril : ce n’est pas exact, même si c’était à une date avoisinante. A l’époque de Charles IX, l’année débutait dans de nombreuses régions à Pâques, fête mobile, ce qui était incommode car sa longueur variait (style de Pâques). De même, elle avait longtemps débuté le 25 mars (style de l’Annonciation).

Le 1er-Avril est en effet une parodie des fêtes de début d’année et il correspond à un renouveau printanier comme le Carnaval, fête d’inversion où le petit devient grand et le fol devient sage. C’était le cas au Moyen Age au moment de la fête des Fous et lors de la fête de l’Enfant-évêque, le 28 décembre, jour des Saints-Innocents, quand un enfant de chœur prenait la place de l’évêque dans sa cathédrale. D’ailleurs en Espagne, ce 28 décembre est justement resté le jour des farces. Ces farces du 1er avril, tout comme les fessées pour rire que l’on connaissait à la fin décembre dans de nombreuses régions, sont porte-bonheur.

La dérision domine le 1er-Avril, douze jours après l’équinoxe de printemps, en cette journée liée à l’avènement de la nouvelle saison qui soulage de l’hiver, et qui tombe en général pendant l’austère période du Carême. Les plaisanteries, que l’on associe souvent à d’anciennes étrennes, sont ponctuées en France de l’expression énigmatique : « Poisson d’Avril ! ». Ces farces sont faites aux personnes de tout âge et de toute condition sociale, tandis que les plaisantins accrochent parfois dans leur dos la silhouette d’un poisson en papier. Claude Gaignebet voyait dans cet accrochage la nécessité d’un « retournement » du temps que le geste même implique [1]. Différentes hypothèses peuvent justifier ce poisson. Il semble par sa présence se moquer des autorités, de l’Eglise en particulier qui impose le Carême, car il est l’un des rares aliments autrefois autorisés en période de jeûne. Par le nombre de ses œufs, le poisson évoque la vie et la fécondité, comme la poule ou le lièvre, autres animaux prolifiques célèbres au printemps. Une origine sémantique peut encore être avancée et donne au poisson une connotation érotique : le « maquereau », la « maquerelle », la « morue » sont des noms évocateurs d’amours illicites et de débordements sexuels. De même, la « vieille », autre nom du labre, poisson marin ridé, est le nom donné en France à l’année finissante ainsi qu’au Carême, comme nous l’avons vu.

Arnold Van Gennep, grand folkloriste français (♱ 1957) rapprochait ces plaisanteries des « farces de réception » connues au moment du Carnaval, des veillées et des fêtes professionnelles. Répandues d’abord en milieu urbain, ces farces jouées aux nouveaux, sans aspects licencieux particuliers, représentaient une épreuve d’admission, forme de bizutage pour les jeunes apprentis qu’on envoyait chercher des objets introuvables : des passoires sans trous, de l’huile de coude ou des cordes à lier le vent, par exemple.

Nadine Cretin


[1] Fêtes du monde. Europe, Ed. du Moniteur, 1980, p. 11.