Pâques

Extrait de mon livre Fête des Fous, Saint-Jean et Belles de mai. Une histoire du calendrier, Seuil, 2008.

La fête de Pâques, qui célèbre la Résurrection du Christ trois jours après sa Crucifixion, est pour l’Eglise la « Solennité des Solennités », alors que la fête de Noël est plus populaire aux yeux du plus grand nombre. Selon le canon 21 du IVe concile de Latran (1215), les chrétiens sont tenus de faire leur pâques,c’est à dire de communier au moins une fois dans l ‘année le jour de Pâques : « tout fidèle de l’un et l’autre sexe qui a atteint l’âge de raison devra confesser ses fautes à son propre prêtre au moins une fois chaque année, accomplir dans la mesure de ses moyens la pénitence qui lui a été imposée et recevoir dévotement, au moins à Pâques, le sacrement de l’Eucharistie ». L’expression ne s’emploie plus depuis le Concile Vatican II.

Le nom de « Pâques » (au pluriel quand il s’agit de la fête chrétienne) tient son nom de la Pâque juive, Pessa’h[1], qui était célébrée à Jérusalem au moment de la mort du Christ. Saint Jean-Baptiste a désigné Jésus comme « l’Agneau de Dieu » et saint Paul, au Ier siècle, a signifié que le Christ lui-même était la Pâque, l’Agneau immolé qui a versé son sang pour le salut des hommes (I Cor 5, 7). Le christianisme a très tôt choisi de célébrer la Résurrection du Christ chaque dimanche, premier jour de la semaine ou jour du Seigneur. Mais ce ne fut qu’au IIe siècle que l’Eglise a choisi à des dates variables une fête de Pâques spécifiquement chrétienne (dans la seconde moitié du siècle même pour l’Eglise romaine, après 165). Pour le calcul de la date de la Pâque chrétienne, divers conflits, entre les églises d’Asie et celle des autres parties de l’Empire romain entre autres, allaient conduire à la fixation de la date toujours en usage. La date de cette fête, le dimanche qui suit la pleine lune venant après l’équinoxe du printemps, a été arrêtée en 325 au Concile de Nicée : Pâques tombe donc entre le 22 mars et le 25 avril[2]. Cette fête est associée au renouveau de la végétation, ainsi qu’au retour de la fécondité et de la vie après la stérilité de l’hiver. Le nom anglais de Pâques, Easter, vient d’Eostre[3] ou Ostara, une divinité saxonne associée au lièvre selon Bède le Vénérable († 735) qui, comme la déesse nordique Freyja, symbolise le renouveau et annonce le printemps.

La Pâque (au singulier) est la fête biblique qui commémore le départ précipité des Hébreux d’Egypte vers 1300 avant J.-C. sous la conduite de Moïse, rapportée dans le livre de l’Exode. La fête juive de Pessah, du 14 au 21 Nissan (mars-avril), célèbre leur libération après leur captivité au service du Pharaon qui les contraignait à de durs travaux, et leur retour vers la Terre Promise avec le passage miraculeux de la Mer Rouge à pieds secs. Grâce à Moïse, prévenu par Yahvé de la colère divine, ils avaient marqué du sang d’agneau leurs habitations pour les faire connaître à l’ange exterminateur qui allait frapper les enfants premiers-nés des Egyptiens, afin d’être épargnés. En souvenir, le 14 Nissan, à la première pleine lune du printemps, les Israëlites venaient chaque année en pèlerinage à Jérusalem et offraient en sacrifice un agneau. Pendant sept jours, ils devaient manger des pains azymes en souvenir du départ précipité de leurs ancêtres qui n’avaient pu attendre que la pâte à pain eût levé. Cette fête semble s’être elle-même superposée à des coutumes agraires plus anciennes. Les juifs commémorent toujours cette fête de la mémoire, la plus importante de l’année, en la commençant par le repas rituel  du seder, au menu symbolique, marqué par la lecture de la Haggada (récit de l’Exode) ; ils ne consomment pendant huit jours que des pains sans levain (les matsot).

La joie pascale

La veillée pascale, célébration nocturne pour le baptême des nouveaux chrétiens adultes, permet de bénir le feu nouveau sur le parvis de l’église et de le communiquer au Cierge pascal, ainsi que l’eau qui sert aux baptêmes et aux aspersions. L’eau et le feu sont des éléments de purification et de régénération, importants en cette période de passage. Dès le VIe siècle au moins, les Irlandais auraient eu coutume d’allumer de grands feux au commencement de la nuit pascale, si l’on en croit la légende de saint Patrick. C’est un symbolisme assez naturel qui a conduit à ce rite comparable à celui des bûchers de Carnaval, qui salue le retour du renouveau et des jours plus longs.

L’annonce de la joie pascale transparaît dans l’Exsultet, hymne qu’on chantait déjà à Rome au VIIe siècle et intégré à la liturgie papale au XIe siècle. Au Moyen Age, les fidèles se groupaient joyeusement autour du diacre qui chantait : en témoignent dans certaines régions des rouleaux soigneusement enluminés que le diacre déroulait au fur et à mesure[4]. Cette joie se traduit encore dans ce rire pascal autorisé à l’église au XVIe siècle, qui avait lieu parfois à la Pentecôte[5], où le prêtre devait raconter une anecdote pour faire rire les assistants, et dans le retour des cloches qu’on n’entendait plus depuis le Jeudi saint. En Italie, on autorisait parfois un rafraîchissement à la fin des vêpres du dimanche de Pâques et cette réjouissance se poursuivait même par des danses, encore çà et là au XVIIIe siècle.

Les évangiles qui rapportent la Résurrection ont donné naissance à des drames liturgiques, joués dans les sanctuaires au milieu du Moyen Age : la découverte du tombeau vide par les saintes Marie et leur essoufflement après leur course effrénée pour aller avertir les apôtres Pierre et Jean, par exemple. Ces jeux furent progressivement interdits à partir du XVIe siècle, car ils causaient souvent des débordements. De tout autre facture, les Mystères, d’inspiration religieuse également, donnèrent lieu en ville à des mises en scène spectaculaires et bruyantes, ce qui entraîna leur disparition aux XVIe et XVIIe siècles.

Le cierge pascal

Le cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, reste allumé jusqu’à la Pentecôte. Cette coutume, d’abord étrangère à Rome, était connue en Haute-Italie, en Gaule et en Espagne : dès le VIe siècle, elle était si populaire que les papes durent la permettre, sans pour autant l’adopter.[6] Entre l’alpha et l’oméga, lettres grecques qui signifient que Dieu est au commencement et à la fin de tout, le cierge porte une croix faite de cinq grains d’encens où sont inscrits les quatre chiffres de l’année. Cette inscription évoque celle que portait l’arbre pascal, haut de près de deux mètres, placé dans les églises au Moyen Age. Chargé de fruits en bois peint ou en cire, cet arbre reposait sur un socle couvert d’un drap rouge : sur son tronc, on gravait la date des fêtes mobiles, le nom des dignitaires et les chiffres de l’année[7].

A son tour, cet arbre évoque les grandes résurrections mythiques, en particulier le pin d’Attis dans le culte de Cybèle, originaire de Phrygie (Asie mineure), que Rome célébra à partir de 204 avant J.-C. Jalouse, la déesse frappa de folie Attis, son jeune amant infidèle qui s’émascula et mourut, avant de revenir à la vie. Ces mythes de renaissance passant de la mort à la vie, qui avaient toujours lieu au printemps, connaissaient tous des périodes de marges caractérisées par les ténèbres, l’arrêt de la vie ordinaire et le deuil ; ils concernaient d’autres divinités liées à la végétation, tels le dieu égyptien Osiris, Orphée en Grèce et le dieu syrien Adonis.

Les oeufs

Pâques était l’occasion de remettre la maison en état et, au besoin, de la blanchir à la chaux. Encore au milieu du XXe siècle, il était également important de porter sur soi une ou plusieurs affaires neuves ce jour-là. Les familles se rassemblent toujours pour un grand repas, avec au menu de l’agneau – déjà voulu par l’usage biblique – et des gâteaux faits avec des œufs, réputés porter en eux la force vitale : en Alsace, le gâteau a la forme d’un agneau au cou enrubanné.

Les enfants attendent impatiemment le matin pour découvrir les « œufs », gourmandises en chocolat ou en sucre déposées la nuit dans les jardins en forme d’œufs, de cloches ou d’animaux prolifiques symbolisant la fécondité comme la poule, le poisson, le lièvre ou le lapin. Ces « œufs » ont été mystérieusement déposés par les cloches revenant de Rome, dit-on généralement, ou par un mystérieux lièvre de Pâques (Osterhase) qui « pond » dans les nids aménagés à son intention dans les jardins. Animal nocturne et donc lunaire, se reproduisant facilement, le lièvre associé à la déesse saxonne Ostara, est symbole de fertilité et de fécondité. Cette croyance du lièvre ou du lapin de Pâques, connue encore dans de nombreuses régions d’Europe (en Alsace, une partie de la Lorraine et dans les pays anglo-saxons par exemple), est plus ancienne que celle des cloches.

On ne sait pas de quand date l’interdiction de sonner les cloches pendant les trois derniers jours de la Semaine Sainte. A Rome au VIIIe siècle, d’après l’Ordo Romanus I, on cessait de sonner les cloches le Jeudi Saint à un moment « assez mal déterminé » pour n’en reprendre la sonnerie que le matin du jour de Pâques, et la suspension de sonnerie est également mentionnée au VIIIe siècle par un pontifical de Saint-Lucien de Beauvais[8]. Mais l’usage répandu du silence des cloches ne date que de la fin du XIIe siècle et du début du XIIIe : la croyance dans le voyage des cloches n’est sans doute pas antérieure.

Attesté en Alsace au XVe siècle, les œufs (du poulailler) donnés aux enfants ou aux adolescents étaient souvent teints en rouge, couleur porte-bonheur. Symboles de vie et de perfection, ils étaient volontiers offerts à leurs filleuls par les parrains et marraines. Dans les pays d’Europe centrale, ces œufs sont encore très joliment décorés, avec des dessins élaborés à la cire, grattés ou collés.

Le jour de Pâques ou le Lundi, jour férié, les jeux avec les œufs (crus ou durs), ont lieu dans une grande partie de l’Europe, même s’ils sont moins nombreux qu’autrefois : courses aux œufs en chocolat, chasses aux œufs, lancers, roulées sur une planche inclinée ou une pelouse, toquettes où les concurrents entrechoquent leurs œufs en essayant de casser celui de l’adversaire… Ces jeux de plein air, avec obligation collective et sanction, avaient un net caractère cértémoniel et gagner était de bon augure pour l’année qui renaissait.

Depuis le IVe siècle et jusqu’à la Renaissance, tous les jours de l’octave (les huit jours qui suivent) étaient considérés comme sacrés. N’est plus férié aujourd’hui que le Lundi de Pâques qui, comme le Lundi de Pentecôte, est une journée d’extérieur, de promenades, pèlerinages, férias, etc. Dans certaines régions, cette journée permettait d’organiser des combats de coqs, des jeux de tir à l’arc et des compétitions équestres pour élire les chefs des sociétés de jeunesse. Du reste, toute la période qui allait de Pâques à la Pentecôte était consacrée à la jeunesse et aux rites d’intégration aux groupes des jeunes[9]. Dans les pays d’Europe centrale, le Lundi de Pâques est la journée des aspersions d’eau : comme toute aspersion (de confetti, de pétales de roses, de riz, d’œufs et de farine… lors des mariages ou aux Carnavals) cette coutume est porte-bonheur. Cette semaine in albis, où les nouveaux baptisés devaient être en blanc, était une semaine joyeuse. Elle se termine par le « dimanche de Quasimodo », « Pâques closes », ou dans le Midi languedocien « Pasquetes » (petites Pâques). Ce dimanche, qui ouvrait la saison des fêtes patronales, donnait lieu en Bretagne à des jeux bruyants annonciateurs de printemps : après les Vêpres, on devait briser les poteries au rebut (assiettes, pichets et plats cassés ou fêlés) sur la place du village , comme s’il s’agissait de « massacrer » l’hiver et la vieille année. Cette pratique de vacarme cérémoniel porte-bonheur figure encore la nuit de la Saint-Sylvestre en Italie.


[1] Mot généralement rattaché à la racine hébraïque pâsah (passer, épargner).

[2] L’Eglise orthodoxe calcule la date de Pâques de la même façon, mais selon le calendrier julien, l’équinoxe de printemps retarde et la date de Pâques, qui en dépend, peut donc être différente.

[3] D‘un radical indo-européen qui a donné le sanskrit usra et le latin aurora (qui se lève à l’est).

[4] Le médiéviste Eric Palazzo montre à ce sujet comment les images devaient être perçues au Moyen Age : le diacre chantait par cœur et  le rouleau, où les figures étaient disposées au rebours du texte (de sorte que pour celui qui lisait les personnages avaient la tête en bas), symbolisait la Parole sacrée.

[5] Colette Méchin, Saint Nicolas, Berger-Levrault, 1978, p. 109.

[6] Mgr L. Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1909, p. 256.

[7] A Angers, selon un exemple cité par D. Alexandre-Bidon. « Pâques Fleuries », R.M.N.,1990, p. 2.

[8] A cette époque, les cloches étaient probablement sonnées à l’aide d’un marteau ou d’un maillet. Dom Jules Baudot, Les cloches, Bloud et Cie, 1974, (1913), p. 49 ;Arnold Van Gennep, Le folklore français, réed. 1998,  T. I, vol. 3, p. 1013.

[9] J.-C. Schmitt, « Jeunes et danse des chevaux de bois », Le corps, les rites, les rêves, le temps, Gallimard, 2001, p. 175.