LES LANTERNES VÉGÉTALES

Les lanternes et les tournées d’enfants

Très tôt, devant l’apparition du froid et surtout de l’obscurité grandissante dans l’hémisphère Nord où les jours raccourcissent jusqu’au solstice d’hiver le 21 décembre, on a éprouvé le besoin de conjurer la nuit envahissante et les esprits maléfiques qui sont supposés y rôder, par des coutumes liées au feu et à la lumière. Lors de cette période qui commence dès le début novembre, on note dans certaines régions d’Europe l’abondance des défilés d’enfants avec des lanternes, ainsi que celles des tournées de maison en maison avec chants et quêtes.

Halloween

La tradition des lanternes végétales est certainement ancienne étant donné sa permanence dans une grande partie de l’Europe, mais ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’on trouve les descriptions en Irlande de la fête d’Halloween (de l’anglais All Hallows Even, veille de la Toussaint) : grand repas, visites attendues des morts (on ne les voit pas, mais on redoute de les rencontrer), tournées des enfants parfois – pas tous ! – déguisés de vêtements grotesques, grimés ou masqués et se prétendant sorcières ou fantômes, jeux avec des pommes et des noix… Permettant toujours la rencontre amicale ou hostile des mondes humain et divin – l’Autre Monde –, ce qui lui a valu sa réputation de fête des êtres surnaturels, Halloween est devenue en premier lieu une fête domestique le soir du 31 octobre, marquant la fin de l’été, les récoltes finies et la joie du travail accompli.

Dès le début novembre, on assiste ainsi en Europe à une prolifération de défilés avec lanternes autrefois végétales. Suspendues à des baguettes de noisetier (ou d’un autre arbre fruitier, symbole prometteur !), celles qui accompagnaient les enfants dans leurs défilés étaient creusées dans des légumes sculptés et représentaient une tête grimaçante comme les grosses citrouilles d’Halloween, couramment appelée aujourd’hui Jack o’Lantern[1]. Tout est bon pour conjurer les trop longues nuits qui vont vers le solstice d’hiver, peuplées de revenants et de croyances maléfiques. La fête d’origine celtique appelée autrefois Samain (mais on ne peut absolument pas faire d’Halloween une Samain dégénérée), n’est curieusement nulle part attestée en Gaule : seul le mois de Samon(i)os était connu comme premier mois de l’année[2]. Ce n’est pas le nom d’une divinité comme certains le disent.

Lorsque les Irlandais et les Écossais émigrèrent de l’autre côté de l’Atlantique au XIXe siècle (grandes famines dues à la crise de la pomme de terre en Irlande vers 1840), ils se laissèrent tenter par des grosses citrouilles.

La présence des légumes en automne, saison où l’abondance est encore bien là, est un rite de multiplication, conjurant l’hiver et la stérilité.

En Suisse, la Räbeliechtli qui se pratique en Suisse allemande un peu partout autour du deuxième week-end de novembre. Les enfants creusent des navets pour en faire des lanternes. Le mot « rave » est issu du lat. rapa, plur. du subst. neutre rapum « rave, navet »).

Voir par exemple https://www.mamalisa.com/?t=fs&p=4942

Et de nombreux sites (avec photos et vidéos) sur les traditions suisses.

En Thurgovie (canton suisse), la Bochselnacht, dernier jeudi avant Noël : https://www.myswitzerland.com/fr-fr/decouvrir/manifestations/coutumes-au-printemps-et-en-hiver/bochselnacht-in-weinfelden-tg/

La fête des Allumoirs, dans le Nord de la France (à Lille par exemple) et en Flandre, se déroule fin octobre à la tombée de la nuit et consiste pour chaque enfant à construire un allumoir, lanterne en papier mâché. Défilés dans les rues en chantant avec les allumoirs réalisés à l’école.

Voir par exemple : https://www.lavoixdunord.fr/646883/article/2019-10-04/les-allumoirs-une-tradition-nordiste-liee-notre-passe-textile

La fête des Guénels (Pas-de-Calais)

Rappelant la tradition allemande du soir du 10 novembre, la Saint-Martin (Martin de Tours, évêque au IVe s. fêté le 11 novembre) est parfois l’occasion en Picardie d’un défilé d’enfants porteurs de lanternes derrière un cavalier habillé en centurion romain, représentant le saint du IVe siècle dont le geste le plus connu fut le partage de son manteau avec un pauvre aux portes d’Amiens.

La Saint-Martin, le soir du 10 novembre à Dunkerque. Dans le Nord–Pas-de-Calais, des pâtisseries (les follards, croquendoules ou volaeren) sont parfois déposées dans les maisons la nuit près de l’entrée. On les appelle les crottes de l’âne, et elles remontent à une ancienne légende suivant laquelle saint Martin avait voulu récompenser les enfants : il aurait retrouvé son âne perdu dans les dunes grâce à leur bruit et à leurs lanternes. C’est parfois l’âne de saint Nicolas qui est réputé s’oublier.

Amélie Vermeulen, « Flandre : La Saint-Martin bien vivante, malgré quelques entorses à la tradition », La Voix du Nord,‎ 8 novembre 2017 (consulté le 21 septembre 2020).

Fête très répandue dans une grande partie d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Autriche : les lanternes végétales sont aujourd’hui le plus souvent remplacées par de simples lampions en papier. Lors de Martinstag le soir du 10 novembre, veille de la Saint-Martin, les enfants portant chacun leur lanterne suivent en chantant un fier soldat romain monté sur un cheval, censé représenter le généreux saint dont le miracle le plus célèbre est le partage de son manteau avec un pauvre. Ils vont ensuite dans leur quartier par petits groupes quêter des gâteaux de la Saint-Martin aux portes des maisons.

http://www.allemandsansconte.fr/SANKTMARTINSTAG.html

https://lepetitjournal.com/munich/la-fete-de-la-saint-martin-en-allemagne-quest-ce-que-cest-268316

Autre tradition en rapport avec la lumière, s’en approche la fête anglaise historique de Guy Fawkes’Day le 5 novembre, en référence à la Conspiration des Poudres, vaine tentative du catholique Guy Fawkes de faire sauter le Parlement de Londres le 5 novembre 1605. Le soir du 5 novembre, après avoir quêté de porte en porte a penny for the Guy, les enfants confectionnent leur Guy, mannequin en tissu mis à brûler sur une place publique ou dans les jardins à la nuit tombée. Des feux d’artifices, feux de joie et pétards sont de mise pour célébrer cet anniversaire dans toute l’Angleterre. Voir par exemple :

https://www.eurotunnel.com/fr/inspiration/guy-fawkes-day/


[1] D’après une légende irlandaise, connue dès 1750.

[2] On croyait les fêtes celtiques d’institution divine et les festins de Samain étaient placés sous le patronage de Lug, chef de tous les dieux, polytechnicien, maître de la lumière, du temps et de la nuit, ainsi que protecteur de la société. La veille, chacun devait avoir éteint le feu dans son âtre pour le rallumer avec les braises que les druides distribuaient pour symboliser l’inauguration d’un temps nouveau. F. Le Roux, Christian-J. Guyonvarc’h, Les fêtes celtiques, Editions Ouest-France, 1996, p. 77.