Si sa fête est célèbre, saint Valentin n’est connu que par une basilique romaine qui lui a été dédiée sur la voie Flaminienne à la fin du IVe siècle. Le récit de sa Passion, antérieur au VIIIe siècle, en fait un prêtre romain martyrisé au IIIe siècle. Il a pris les traits d’autres saints Valentin, obscurs eux aussi, dont l’un, fêté le même jour, aurait été évêque de Terni en Ombrie et martyrisé à Rome vers 273. Il fut confondu également avec un évêque itinérant enterré dans le Tyrol italien, saint Valentin de Rhétie, dont les reliques sont à Passau en Bavière depuis 764 (fêté le 7 janvier).
La réputation de guérisseur de Valentin (invoqué en particulier contre l’épilepsie en Allemagne) vient de sa légende : il aurait guéri plusieurs enfants d’hommes illustres ou, selon La Légende dorée, il aurait rendu la vue à la fille du gouverneur qui était aveugle, avant d’être décapité.
La fête des amoureux
Saint Valentin doit sa réputation de patron des amoureux à l’étymologie prometteuse de son nom – du latin valere, se bien porter, réussir –, présage de bonheur, particulièrement de bonheur conjugal. Comme saint André (du grec, viril), fêté le 30 novembre, les jeunes filles (et les jeunes gens) l’invoquaient pour se trouver un conjoint. Cela vaut à saint Valentin sa place dans le calendrier, à une date proche du Carnaval où les enjeux amoureux sont importants en cette époque de licence et de rupture, favorable au retour de la fécondité. D’ailleurs, le saint était souvent représenté sur les anciens calendriers avec dans la main un soleil annonçant le printemps ou un gaufrier.
L’explication la plus fréquente du patronage des amoureux provient de la croyance médiévale que les oiseaux se fiancent le jour de la Saint-Valentin et se marient à la Saint-Joseph, le 19 mars[1]. Attestées au XIVe siècle, des manifestations courtoises avaient lieu le 14 février dans le milieu aristocratique anglais. Dans The Parliament of Fowles (Le Parlement des oiseaux, vers 1382), le poète de cour anglais Geoffrey Chaucer parle de la Saint-Valentin et de l’avènement du printemps où les oiseaux, espèce par espèce, se choisissent une compagne. On lui attribue la paternité des valentines, poèmes d’amour parfois anonymes, formulés à l’élue de son cœur à cette occasion. Saint Valentin est mentionné également dans la « Balade XXXIIII » (Cinkante Balades, vers 1399) du poète John Gower, ami de Chaucer, qui précisait que pour imiter les oiseaux, chaque galant choisissait sa belle pour un an. L’usage anglais se répandit à la cour de Savoie grâce au capitaine et poète Othon de Grandson († 1397), puis à la cour de France en 1450 à la suite des rondeaux du poète Charles d’Orléans qui avait été prisonnier à Londres de 1415 à 1440. Auparavant, Christine de Pisan avait écrit également des valentines : Cent ballades d’Amant et de Dame vers 1409-1410.
Le valentinage instituait un rapport de courtoisie hors-mariage, « sorte de mise à l ‘épreuve amoureuse »[2] en associant pour l’année, parfois seulement pour la journée, des couples formés selon leur propre choix ou par le hasard : première rencontre du matin, tirage au sort du valentin, etc., même parmi les personnes mariées. Leur association restait parfois secrète. Outre diverses galanteries, le valentin et sa valentine devaient se faire de menus cadeaux[3]. En février 1603, l’évêque de Genève François de Sales dénonça à Annecy ce « coupable usage » qui occasionnait querelles et désordres dans les ménages. Si l’élection des valentins de fortune a progressivement disparu, l’habitude des tendres missives, elle, s’est conservée dans les pays anglo-saxons sur des cartes de vœux imprimées ou non : encore maintenant, les jeunes filles à marier, et même les couples de tous âges, en reçoivent de leurs amis[4]. En France, la Saint-Valentin fut remise au goût du jour par les soldats américains à la suite de la IIde Guerre mondiale. La fête, devenue très populaire, est soutenue par les marchands de fleurs, de cadeaux, de chocolats… qui, dès 1946, avaient compris leur intérêt commercial. En revanche, la coutume de la correspondance n’y est pas de mise.
Le rituel courtois du valentinage s’est calqué sur une tradition préexistante qu’il a renouvelée avec élégance. Comme le rappelait en 1920 le folkloriste P. Saintyves, le mois de février est depuis longtemps un mois de fiançailles. Il cite par ailleurs ce dicton tchèque :
« Voilà que crie saint Valentin : au bal ! Réjouissez vous bien du Carnaval. »[5]
Jusqu’en 1890, des fiançailles fantaisistes imaginées par les jeunes gens célibataires, avaient lieu en cette période, en particulier dans l’Est de la France, telle la coutume du dônage (d’après la formule « je donne ») le premier dimanche de Carême ou « dimanche des Brandons ». Dans la rue, sur une place, devant une maison où se tenait une veillée, cachés parfois derrière des volets à demi-fermés, les orateurs annonçaient d’une voix claire des amours plus ou moins secrètes qui assemblaient un jeune homme et une jeune fille, dévoilant parfois des couples non légitimes. Le dônage et ses « bans imaginaires » pouvaient s’accompagner du lancement de disques incandescents, allumés au bûcher du Carnaval, et jetés dans les airs au moyen d’une baguette, comme des petits soleils ou des étoiles filantes[6]. Ces traditions masculines du feu mobile lancé aux yeux de tous, en même temps que le nom de l’élue était proclamé, s’opposent aux gestes secrets féminins qui consistaient à jeter dans la cheminée le soir de la Chandeleur (2 février) une poignée de cendres sur des tisons ardents en implorant :
« Chandelier, Chandeleur,
Je te cache à cette heure
Fais-moi voir en mon dormant
Celui que j’aurai de mon vivant. »
Cendrillon, « fiancée du feu » ou « des cendres », n’est pas loin !
Certaines versions de la légende de saint Valentin qui parlent de bâtons noueux avec lesquels on l’aurait frappé lors de son martyre, ne font que renforcer l’aspect carnavalesque de la fête : comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, la baguette écorcée insufflant vigueur et fécondité annonce le renouveau. Curieusement, on rapproche parfois la Saint-Valentin de la coutume des Lupercales décrite par le poète latin Ovide (Fastes, II), qui avaient lieu le 15 février dans la Rome antique[7]. Cette course des Luperques, jeunes gens de l’aristocratie à-demi nus et vêtus de peaux de bouc en l’honneur de Faunus, dieu des troupeaux, avait pour but de purifier ville et habitants après les souillures de l’hiver. Incursion d’hommes à l’aspect sauvage dans le monde civilisé, cette manifestation annonciatrice de vigueur et de fécondité présentait des traits carnavalesques communs à toute l’Europe pour un passage heureux vers la nouvelle année. Mais cette course vive où les Luperques frappaient de leur fouet tout ce qui se présentait sur leur passage (y compris les jeunes femmes), semble toutefois bien éloignée des coutumes galantes de la Saint-Valentin qui, elles, sont parées des usages chevaleresques et courtois caractéristiques du Moyen Age.
Toujours en raison de l’origine de son nom, saint Valentin est parfois invoqué également en tant que saint agraire, pour protéger les vignes dans une partie des Alpes, par exemple, ou les champs contre les ravages des mulots, par suite de la réputation du patron de Jumièges en Normandie, saint Valentin (de Terni) dont, au IXe siècle, la châsse contenant ses reliques, promenée par les religieux jusqu’à la Seine, aurait conduit au fleuve une troupe de rongeurs indésirables.
[1] A. Van Gennep, Le folklore français, vol. 1, 1943, rééd. 1998, p. 263.
[2] Tina Jolas, « Une séquence printanière : Le Songe d’une nuit d’été », Ethnologie française, 1991, n° 4, p. 383.
[3] Samuel Pepys, Journal, Union générale d’Editions « 10-18 », 1972, n. 4 (1661), p. 279.
[4] Selon P. Saintyves qui cite la Revue Britannique, la poste de Londres a distribué le 13 février 1861 47 750 lettres de plus que d’ordinaire ; d’après Roger Lecotté, la poste de New York, vers 1880, a débité 583 442 timbres à cette occasion. « A propos de la Saint-Valentin », Bulletin folklorique d’Ile-de-France, oct.-déc. 1951, p. 292.
[5] « Valentines et Valentins. Les rondes d’amour et Cendrillon », Revue de l’histoire des Religions, vol. 81, 1920, p. 158, p. 162.
[6] La coutume des « chidôles » enflammées s’est d’ailleurs maintenue dans certaines communes d’Alsace.
[7] Voir La Légende dorée, A. Boureau éd., Gallimard, « Pléiade », notes p. 1176.