Les crêpes de la Chandeleur

Les crêpes sont censées être mangées en quantité à la Chandeleur, au Carnaval ou à la Mi-Carême. Comme d’autres pâtisseries de cette époque – beignets, bugnes, roussettes, gaufres, oreillettes, merveilles… –, les crêpes symbolisent la venue prochaine du printemps, le retour de la lactation et la fin de l’hiver. Exigeant des ingrédients peu chers et faciles à trouver (lait, œufs et farine), elles rappellent l’adage prometteur de l’abondance. Ces pâtisseries jouaient un rôle protecteur en veillant à l’économie domestique : la première, lancée sur une armoire ou un vaisselier veillait à l’économie familiale. Selon la tradition, on doit garder à la main une pièce de monnaie en faisant sauter cette première crêpe, afin de s’assurer la fortune toute l’année.

Elles témoignent également qu’après l’hiver, saison stérile, les provisions ne manquent pas, et en outre, sont liées à la culture des champs :

« Si point ne veux de blé charbonneux, / Mange les crêpes à la Chandeleur », dit un dicton vendéen.

On a tenté de christianiser cette tradition gourmande en donnant pour origine un usage propre au pape : au Ve siècle, pour réconforter des pèlerins venus à Rome, Gélase ler aurait fait faire des oublies, sortes de gaufres rondes roulées en cornets. Mais c’est oublier que les crêpes étaient par ailleurs connues dans d’autres régions d’Europe comme expression du printemps. L’anthropologue anglais James George Frazer († 1941) note cette comptine que les jeunes filles de Bohême récitaient encore au début du XXe siècle après avoir noyé une effigie de la Mort au soleil couchant. Promenant un jeune arbre décoré de rubans verts, rouges et blancs où était suspendue une poupée habillée en femme, les jeunes filles chantaient de porte en porte en recueillant leurs présents :

« Le Printemps vient nous rendre visite / Avec des oeufs rouges/ Avec des crêpes jaunes.

Nous avons expulsé la Mort du village, / Nous y apportons l’Eté…[1] ».


[1] Frazer, Le Rameau d’Or, 2e vol., « Le dieu qui meurt », Bouquins , Robert Laffont, (1934) 1983, p. 166.